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Culturel

Ao Dai, une icône du Vietnam

L’Ao Dai, ou tenue féminine traditionnelle du Vietnam, est devenu un des symboles forts du pays aux palanches. Indissociable de l’élégante simplicité de la femme vietnamienne, mais aussi, à travers son histoire, de l’âme de tout un peuple. Plus qu’un simple vêtement, l’Ao dai (prononcez : ao zai) symbolise le passé et l’avenir, la tradition et la modernité, la pudeur et la sensualité.

L’Ao Dai, l’histoire et la politique

ao tu thanIl y a plus de 300 ans, ce « vêtement qui couvre tout mais ne cache rien » marquait une forme d’adaptation identitaire du pays face aux influences étrangères. Puis, au fil des ans, la tunique longue (signification de Ao Dai) n’aura de cesse d’affirmer l’identité d’une nation.

Historiquement – et pour faire court – l’ancêtre de l’Ao Dai était une chemise à 4 pans. On en a trouvé trace dans les gravures sur des tambours de bronze datés de plusieurs milliers d’années. Il sera porté jusque sous le règne de la dynastie des Nguyen (avec quelques évolutions, dont des pans plus courts, pour ne pas entraver les travaux dans les champs). Cette tenue à 4 pans, appelée Ao tu than, est encore portée aujourd’hui, essentiellement lors de festivals folkloriques et culturels.

L’Ao Dai contemporrain a été dessiné dans les années 1930, ou plutôt redessiné sur la base d’une coupe datant du 18ème.

Chronologie

Nous sommes en 1744. Nguyen Phuoc Khoat, 8ème seigneur Nguyen de son état, chef du Dang Trong, l’actuel Centre Vietnam (le Sud d’alors), eut vent d’une prédiction désastreuse pour son pouvoir. Celle-ci prophétisait : « Au bout de huit périodes, retour sera fait à Trung Do ». Trung Do désignant la capitale impériale Thang Long, aujourd’hui Ha Noi. Le Sieur Khoat ayant comptabilisé 7 ancêtres successifs avant lui, convoqua le ban et l’arrière-ban de ses mandarins pour une session brain storming.

Et c’est ainsi qu’est né l’Ao Dai ! En voici la preuve : Il voulait établir une identité distincte de ses rivaux du Nord – les seigneurs Trinh. Ils jouissaient du statut de régents auprès des rois fantoches de la dynastie déclinante des Lê. Khoat devait se démarquer, tout changer, pour montrer sa différence toute méridionale, à commencer par les structures administratives. Ni une ni deux, un beau matin de l’an de grâce 1744, le Sud (qui est aujourd’hui le Centre), sous le pouvoir des Nguyen depuis plus d’un siècle, se réveille sous le titre de Vuong Quoc. Dans la foulée, Nguyen Phuoc Khoat fait établir un sceau royal. Il instaure aussi une nouvelle musique de cour, de nouvelles procédures gouvernementales, un nouveau code civil. Bref, il met en place une autre culture. Ce qui passe aussi par les vêtements.

Et ainsi fut …

Exit Ao Tu than, Xin chao Ao Dai ! Khoat décrète le port du pantalon féminin à boutons mais garde la tunique 4 pans qui vient par-dessus ledit pantalon. Aussi bien les femmes que les hommes porteront cette tenue. Cela pourrait passer pour anecdotique, mais quand on sait que l’Ao Dai en question empruntait largement au style de vêtements portés par les Cham – les premiers habitants des terres du Sud, dont le royaume de Champa (aujourd’hui le Centre du Vietnam).On ne peut s’empêcher de penser que le Seigneur Khoat a diplomatiquement montré ainsi son respect de la culture des Cham afin de gagner leur soutien. Imposer un vêtement pour ne pas prendre une veste auprès de ses rivaux, il fallait oser. C’est donc en 1775, que le célèbre lettré Lê Quy Don mentionnera le terme Ao Dai dans son ouvrage « Phu Bien Tap Lục ».

C’est bien ainsi que, d’une action politique, est né un costume qui deviendra traditionnel… L’Ao Dai du Vietnam devint un symbole national !

L’Ao Dai au XiXème siècle

Sous le règne de Gia Long (1802-1819), le costume se répand (presque) uniformément du Nord au Su. Il en profite pour se parer d’un cinquième pan, dans le but avoué de différencier les familles de sang royal et les mandarins des autres avec leurs quatre pans ridicules. Il prendra alors le nom de Ao ngu than – ngu en sino-vietnamien signifiant « cinq ».

Au fil du temps, les 2 pans du devant et leurs jumeaux de derrière, initialement libres, sont cousus pour donner finalement un pan avant et un pan arrière unique. Offrant à ce 20ème siècle naissant la forme quasi définitive à l’Ao dai tel qu’on le connait aujourd’hui. En février 1820, Minh Mang succède à Gia Long et ordonne d’unifier le costume du Nord et du Sud.C’est ainsi que la tenue des grands soirs devint le costume national.

Femme en Ao Dai et portant le Non La – Source : Freepik

Ao dai, une histoire moderne

ao dai lemurOn ne va pas se mentir, avant les années 1930, l’Ao Dai n’était pas d’une esthetique afriolante. L’ensemble était simple et lache, pas flatteur du tout pour le corps qui le portait. Les femmes rajoutent des colliers clinquants sur leur Ao Yem (une sorte de brassiere qui faisait office de soutien-gorge), le résultat n’était pas des plus seillants.

L’Ao Dai « Le Mur »

Les années 1930-1940 marquent une étape importante dans l’évolution de l’Ao dai. Au début des années 30, la France inaugure le Collège des Beaux-Arts d’Indochine (aujourd’hui Université des Beaux-Arts de Hanoi). Ce vénérable établissement accueillera – entre autres – le peintre Nguyen Cat Tuong. Il sera connu sous le nom de Lemur ou Le Mur (« mur » étant la tradition littérale de Tuong). Il aura l’audace de combiner le design de l’Ao Ngu Than aux coupes de robes françaises.

Faisant basculer l’Ao Dai dans une simplicité émoustillée de sensualité. La tunique est composée de deux pans cousus ensemble et surmontée d’un col. La taille est peu marquée, le col, les boutons et les manches sont de de style occidental. Raccourci au mollet, l’Ao dai Lemur se rapproche du corps, remplace la camisole ao yem par la brassière française. Un scandale pour l’époque, qui ne concevait pas qu’une femme puisse ainsi montrer outrageusement ses formes.  

L’Ao dai « Le Mur » était généralement porté avec un pantalon blanc (des dents ont grincé, puisque normalement réservé aux hommes). L’allure générale dessine une esthétique européenne tout en gardant une forte personnalité vietnamienne. L’audace (et un peu le génie) de Le Mur aura rendu l’Ao dai glam’ et chic. Et celles qui le portent, plus émancipées.

L’Ao Dai « Lê Pho »

Quatre ans plus tard, un autre peintre, du nom de Lê Pho, supprimera les manches bouffantes (trop occidentales), fermera l’encolure. Et s’il puisait visiblement son inspiration dans l’Ao tu than, il rapprochera le tout encore plus près du corps. Il affolera la morale et le regard des hommes jusque dans les années 1940. Le design de Lê Pho était également d’ordre idéologique. Les femmes portant le ao Lê Pho se définissent comme respectant encore la tradition mais ne rejettent pas pour autant la modernité. Ce qu’elles rejettent, c’est simplement une identité européenne associée au colonialisme. D’ailleurs, remarquons en passant que porté par les hommes, il représente l’ancien régime précolonial. Mais porté par les femmes, l’Ao Dai représente la modernité, « l’extravagance et la futilité » associées au gaspillage capitaliste. Dans les deux cas, c’est afficher silencieusement et élégamment le refus du colonialisme, en portant une identité vestimentaire non-occidentale.

En disgrâce

Les années 1950 et suivantes seront très politiques, y compris pour l’Ao dai.
A partir de 1954, suite aux accords de Genève, le Pays est divisé en deux : le Nord, sous gouvernement communiste et le Sud, sous la République de Bao Dai, rapidement remplacé par Ngo Dinh Diem. Au Nord, il est classé vêtement réactionnaire, bourgeois et emblème du colonialisme. L’Ao dai tombe en disgrâce (il ne reviendra à la vie que dans les années 1980), alors que les femmes du Sud le portaient encore.

Anecdotes

Il y a une anecdote très intéressante. En 1960, Tran Le Xuan, la belle-sœur du président Ngo Dinh Diem et, de fait, Première dame de la République du Vietnam, puisque le président était célibataire, fait scandale : elle supprime le col de ce qu’on appellera l’Ao dai Le Truan, laissant apparaitre la base du cou. Bon gros scandale. Ce qui n’empêchera pas ce petit détail vestimentaire de proclamer la libération de la femme saïgonnaise (et fortunée). Le courant hippie suivra qui, lui, avait plutôt tendance à raccourcir le bas des jupes que le haut des tuniques.

Dans le même courant d’idée, Nguyen Thi Binh, négociatrice pour le Viêt-Cong à la Conférence de paix de Paris, portera l’Ao Dai du Vietnam pour démontrer son patriotisme. De cette époque aux cheveux longs et aux vêtements minimalistes ne restera pour notre Ao Dai que l’érotique petit triangle de chair apparente, placé au-dessus de la taille. Un autre sujet d’émois masculins et autres critiques moralistes.

Symbolique de l’Ao Dai

Les années qui suivront verront apparaitre l’idéal vestimentaire du régime communiste : un simple chemisier porté par-dessus un pantalon, pratique pour travailler, comme se devait être tout citoyen socialiste : simple, frugal, utile à la nation. L’Ao dai étant devenu « symbole de la décadence étrangère », on ne le portera – timidement mais bravement – qu’aux grandes occasions. Comme une manifestation silencieuse contre le régime, ainsi que cela avait été le cas sous le régime colonial.

L’Ao dai prend sa coupe définitive avec l’arrivée de la manche raglan. Tirant son nom d’un certain Lord Raglan, il s’agit d’une coupe qui permet une emmanchure d’un seul tenant grâce à une unique couture allant des aisselles à la clavicule, facilitant ainsi les mouvements. Dès lors, le devenu célèbre Ao Dai ne changera plus en profondeur. Seuls les motifs décoratifs évolueront au gré des inspirations des créateurs de mode, ainsi que les textures et les matières.

Ai Dai, ou l’éternel féminin – Source : Freepik

L’Ao Dai mania

Toutefois, subissant la conjoncture économique d’après-guerre, les pressions politiques et les sanctions économiques étrangères, le nouveau pays communiste plonge dans une catastrophe économique qui marquera le peuple au fer rouge. Au pied du mur, le Vietnam lancera au tournant des années 1980 sa politique dite du Doi Moi, le Renouveau. Exit simplicité, frugalité et utilitarisme, welcome l’économie de marché mondiale. Les Vietnamiens entrent dans l’ère du consumérisme. D’innombrables revues de mode se font l’écho des fashion trends de Paris, New-York ou encore Tokyo. Très vite, la question va se poser : mais c’est quoi, la Vietnamese Fashion Trend ? Vous l’aurez compris, ce sera le retour en force de l’Ao Dai. Une fois encore, celles qui le portent, porteront l’identité de la nation.

Le retour de l’Ao Dai

La victoire de Truong Quynh Mai (Miss Vietnam du moment) au Concours de Miss International à Tokyo en 1995, marquera le retour éclatant de l’Ao Dai du Vietnam. Celle-ci a défilé en Ao Dai de brocard bleu décoré de motif de fleur argenté, porté sur un pantalon blanc. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le consumérisme était devenu le nouveau standard de vie, devenant indispensable de s’habiller moderne, donc de marque étrangère. Il suffira que les designers d’autres pays s’emparent de l’Ao Dai pour lui donner un petit quelque chose… d’étranger. Ce qui fera son succès auprès des Vietnamiennes.

Avec un design adopté par les Cham, combinant des éléments occidentaux de la mode et de l’esthétique pour devenir un produit typiquement vietnamien. Cet étonnant vêtement n’est pas à un paradoxe près…

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