Histoire

Alexandre Yersin, scientifique et aventurier

Pour la plupart des gens, Alexandre Yersin reste celui qui a mis au point le premier sérum anti peste. Pour les Vietnamiens, il est avant tout celui qui a œuvré sans relâche au service des plus démunis au pays des palanches. Des salles carrelées de blanc de l’Institut Pasteur aux langueurs moites des jungles de l’Indochine, à la fois voyageur solitaire et chercheur de génie, il a toujours fui les honneurs, consacrant sa vie et son énergie à sauver celles des autres. Focus sur un destin comme un roman.

Un profil hors norme

portrait_alexandre-yersinNé en Suisse Romande, Alexandre Yersin étudie la médecine à Lausanne. Puis s’installe à Marbourg (en Allemagne) avant de rejoindre l’Institut Pasteur en 1885, à 22 ans, sous l’égide d’Émile Roux pour qui il sera préparateur. En 1889, pour les 100 ans de la prise de la Bastille, il soutiendra dans le même établissement une thèse sur la tuberculose tout en travaillant sur la diphtérie. Il contribuera à la mise au point d’un sérum contre la rage, qui servira d’ailleurs à sauver sa propre vie après s’être coupé pendant la dissection du cadavre d’un patient mort de la rage.  Il travaillera 2 ans dans le tout jeune Institut Pasteur (inaugure en 1888). Puis embarquera en 1890 pour le Yunnan, en Chine.

Par la suite, il explore la côte et l’arrière-pays d’Annam. Avant d’être mandaté en 1894 par le gouvernement français pour s’occuper de l’épidémie de peste qui ravage le Yunnan. Malgré la concurrence de l’équipe japonaise (un peu brouillonne, il faut bien le dire), il découvre l’agent responsable, aidé par…son manque d’accès aux matériels dernier cri, comme les incubateurs. Ces derniers ayant pour vocation première de chauffer, le bacille – qui a tendance à aimer le froid – mourrait.  Sauf au Yunnan, où il n’y avait pas d’incubateurs… Et pour cause, Yersin a dû construire de ses mains son propre laboratoire rudimentaire en bambou (!). Avec des instruments expérimentaux, des microscopes, mais pas d’incubateurs.

Intuition et génie !

Son intuition géniale et ses remarquables capacités ont fait le reste. Il co-découvrira ce qu’on appellera (en 1967) Yersinia pestis en son honneur. Dans la foulée, il en profitera pour établir le lien entre la peste et les rats. Une petite révolution pour cette époque aux soins de santé plutôt précaires. Il met ainsi fin à ce qui a été la terreur de l’occident pendant des siècles. Il a alors tout juste 30 ans. Ensuite il réalisera, jusqu’à la fin de sa vie, de nombreuses expériences scientifiques, dans des domaines très variés. Il publiera également plus de 50 ouvrages techniques. Idéaliste, il disait de la pratique médicale :

« J’ai beaucoup de plaisir à soigner ceux qui viennent me demander conseil, mais je ne voudrais pas faire de la médecine un métier, c’est-à-dire que je ne pourrais jamais demander à un malade de me payer pour des soins que j’aurais pu lui donner. Je considère la médecine comme un sacerdoce, ainsi que le pastorat».

Ce qui aurait pu être le début d’une carrière prestigieuse, couronnée d’honneurs, se passera plutôt au service des populations locales du Vietnam.

Une vie comme une pièce de théâtre

Explorer de nouvelles terres

Il quitte les éprouvettes du laboratoire de la rue Ulm, pour, dit-il, « explorer de nouvelles terres ». Bien qu’il n’ait que peu pratiqué la médecine jusque-là, il s’engage comme médecin au sein de la compagnie des Messageries maritimes, sur les lignes Saigon – Manille et Saigon – Hai Phong. Arrivé à Saigon, il rencontre Calmette. Elle le convainc de s’engager dans le service de santé des troupes coloniales, tout juste créé.

Alexandre Yersin: Un médecin au temps des colonies

labo-yunnanIl en profite pour explorer une région peu connue de l’Annam, située entre la côte orientale et le Mékong. Il est le premier Européen à explorer et cartographier les hauts plateaux du centre du Vietnam. En 1895, il finira par poser bagages dans un petit village de pêcheurs du nom de Nha Trang. Il installera non loin de là, dans le hameau de Xom Con et dans une paillote, un laboratoire de bactériologie. Cela deviendra par la suite le premier Institut Pasteur d’Indochine. Point de départ d’un réseau de laboratoires de recherche.

Il découvre le plateau de Lang Biang sur lequel sera bâti quelques années plus tard la station climatique de Da Lat et ses sanatoriums. Dalat, qui est encore aujourd’hui une des destinations les plus prisées des voyageurs mais aussi des locaux, pour son climat frais et ses charmants paysages. Parce qu’il est associé à cette époque, certaines personnes pensent que le Dr Yersin était un colonialiste. Mais en ouvrant tous les documents le concernant, en recueillant tous ces témoignages d’affection qu’il portait aux populations locales, il ne donne absolument pas cette image. Alexandre Yersin ne se sent à l’aise qu’au milieu des gens simples – pour ne pas dire très pauvres. Il se lie rapidement d’amitié avec les enfants pour lesquels il réserve une grande bibliothèque.  Il parle couramment le vietnamien et vit heureux avec ce qu’il appelle sa famille.

Précisons que ne s’étant jamais marié ni n’ayant eu d’enfants, il considérait que sa « famille » était constituée des villageois vietnamiens. Parmi lesquels il vivait et auxquels il prodiguait régulièrement des soins médicaux gratuits.

Un aventurier savant et humaniste

En 1894, il se lance dans l’élevage de bovins et de chevaux afin de développer son sérum. Il le testera en Chine en 1896, à l’occasion d’une nouvelle épidémie de peste. Accessoirement, il en profite pour jeter les bases du travail vétérinaire au Vietnam. Puis en 1898, il passe à autre chose. A la fois pour financer ses recherches et par simple curiosité scientifique, il se lance – avec l’aide de Vernet, un ingénieur agronome, dans la plantation de l’hévéa.

A partir de 1903, les frères Michelin lui achètent ses récoltes de latex. En 1909, les 100 hectares rapportent assez pour équilibrer le budget du labo de Nha Trang. Puis, en 1915, il se lance dans la plantation de cinchonas. Un arbrisseau produisant de la quinine, utilisée contre le paludisme. Parallèlement, il continue de soigner gratuitement les habitants, (il écrira : « demander de l’argent pour soigner un malade, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie ! »), conduit trois explorations dans des régions inconnues de l’Annam, implante des races de vaches laitières et contribue magistralement au développement du pays par une approche humaniste, médicale et économique entièrement dédiée au mieux-être des populations locales. Rien que ça.

Création de l’école de médecine

alexande-yersinEn 1902, Paul Doumer, le gouverneur général de l’Indochine française, le charge de créer l’école de médecine de Hanoi. En 1904, l’École de médecine et de pharmacie d’Indochine (aujourd’hui l’Université de médecine de Hanoï) est inaugurée. C’est la première école de médecine en Indochine et Alexandre Yersin en sera le premier président. Il conçoit le cursus sur le modèle d’une université française, il planifie des hôpitaux dans les provinces et les villes à travers le Vietnam en fonction des distances géographiques. Afin que “toute personne malade ait l’endroit le plus proche pour un traitement en temps opportun”. Mais deux ans plus tard, une fois que tout a été mis en place, il démissionne pour se consacrer à plein temps à la recherche. Et surtout à la défense des annamites, méprisés et durement exploités par le régime colonial.

Deux années passent, son laboratoire prend le label d’Institut Pasteur, deuxième du nom au monde. Dans les années qui suivront, Yersin ouvrira d’autres centres de recherche. Dont un à Hanoï (1920) et un autre à Da Lat (1936). 

ALexandre Yersin : précurseur du One Health

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’une des qualités les plus inspirantes du Dr Yersin est sa capacité à travailler dans plusieurs disciplines. Ce que nous appellerions aujourd’hui une approche transdisciplinaire. Précurseur du One Health, il a mobilisé des gens pour travailler dans diverses disciplines et il a mobilisé des ressources. En fait, toutes les choses que nous faisons aujourd’hui, il les faisait il y a un siècle.

Ong Nam, surnom affectueux donné par les Vietnamiens signifiant «Monsieur Cinq» (pour ses cinq galons de médecin militaire), s’éteint à Nha Trang en 1943, pendant l’occupation japonaise, à l’âge de 79 ans. Conformément à ses dernières volontés, il est enterré à Suoi Dau, à une vingtaine de kilomètres de Nha Trang. A quelques kilomètres de sa tombe, dans un ancien dispensaire aujourd’hui devenu une pagode, un autel des ancêtres honore sa mémoire.

Le 22 septembre 2014, jour du 151éme anniversaire de sa naissance, Alexandre Yersin a reçu à titre posthume la “citoyenneté honoraire vietnamienne”. 

Informations complémentaires sur Alexandre Yersin ici > https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Yersin

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